mardi 6 mai 2008

lecture en cours

Les années A Ernaux:

L'auteur s'est lancée dans une entreprise proustienne : saisir le temps qui passe à travers une fascinante et mélancolique autobiographie à la troisième personne. Ce livre contient le destin de toute une génération : la voiture, la télévision, la pilule, et celui, spécifique, des femmes de cette génération : la maternité, le désir de vieillesse...

extrait du roman
les images réelles ou imaginaires, celles qui suivent jusque dans le sommeil
les images d'un moment baignées d'une lumière qui n'appartient qu'à elles
Elles s'évanouiront toutes d'un seul coup comme l'ont fait les millions d'images qui étaient derrière les fronts des grands-parents morts il y a un demi-siècle, des parents morts eux aussi. Des images où l'on figurait en gamine au milieu d'autres êtres déjà disparus avant qu'on soit né, [... ]

critique du roman:

Ce livre impressionnant d’Annie Ernaux se lit comme un film qui projette sur l’écran de la page plus de soixante années d’une époque partant de 1940, année de naissance de l’auteur. On dirait, par l’emploi de l’imparfait et du passé simple, que les images, les paroles, les sons, sont au fur et à mesure de la projection du film avalés par le temps passé, rembobinés. Et maintenant, c’est un autre temps. La page est en train de se tourner avec la projection du livre-film. Comme si l’auteur avait écrit-filmé ces plus de quarante années, avec la précision très clinique de son écriture à nulle autre pareille, plus pour les rembobiner et les stocker quelque part que pour inventer les lecteurs à venir dedans. Comme si ce qu’il y avait à lire était dans ce qui reste dans la béance ouverte : et maintenant ? Une femme, là, dans sa solitude. Qui résiste à quoi ? Au traitement de masse de l’être humain ? Et rien qui reste de singulier ? Ce qui me frappe tout de suite, c’est ce qui est dit presque d’emblée sur le mariage : c’est un compromis. Nous entendons : dès le départ, c’est compromis. Bien sûr, surplombant celle qui écrit et enregistre de cette manière dénudée , et qui en faisant cela peu à peu avance elle-même comme un cas clinique (cas clinique pour dire cas singulier) s’offrant à notre investigation scripturale, il y a le couple parental, le père qui avait tenté d’étrangler la mère, la mère dont la vie s’achève dans le désastre de la maladie d’Alzheimer.

jamais un écrivain n’a, comme Annie Ernaux, conduit l’écriture jusqu’à ce temps de vérité, ce temps d’émettre un jugement, ce temps de fin de docilité gavée. Et c’est formidable !


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