lundi 2 novembre 2009

dis papa c'est quoi un français

Dis Papa, c'est quoi un Français
Aujourd’hui s’ouvre un débat de société très intéressant : celui de la définition de l’identité nationale. Bien entendu, ce genre de débats pose irrémédiablement de nombreux problèmes, mais soyons pusillanimes : voyons d’abord les aspects positifs.

Le premier que je vois est la logique bottom-up, c’est-à-dire que l’on part de la base (nous) pour proposer une définition de l’identité nationale. C’est une démarche intrinsèquement démocratique qui ne peut que me réjouir. C’est en tous les cas mieux qu’un oukase issu du cerveau fécond de quelque bureaucrate parisien ignare de la « France d’en bas ». Et ceci ne se fait pas, à mon sens, dans une logique condescendante (pour une fois) mais vraiment pour faire contribuer « les forces vives de la nation » (je cite leur site). On veut donc toucher toute la population : jeunes, vieux, actifs ou non, hommes, femmes, enfants, plantes vertes,…

Le deuxième est la logique de débat, c’est-à-dire qu’il ne suffit pas de proposer une définition de cette identité nationale mais de l’argumenter. Ces arguments peuvent être de toute nature : économique, sociale, ethnologique (pourquoi pas), biologique (allons-y gaiement). Plus sérieusement, on peut envisager des arguments géographiques, sociétaux ou historiques.


Mais ce genre de débats pose de jolis et délicats problèmes, surmontables mais à ne pas laisser de côté. Tout d’abord, il s’agit de cerner ce que l’on entend par « définition de l’identité nationale ». Lorsque l’on définit, on fige. Si les guerres de religion ont repris dans l’espace germanique dans la deuxième moitié du XVIème siècle, c’est justement parce que la définition de l’espace confessionnel ne prenait pas en compte la montée en puissance du calvinisme qui n’était pas reconnu. Or, quoi de plus mobile qu’une nation ?

On n’a jamais vraiment défini la nation France (à part quelques Ubu prostatiques flirtant avec l’extrême-droite comme Jean-Marie Le Pen, Charles Maurras ou Robert Poujade pour ne citer que les plus connus). Mais quelques exemples ont pu être suivis. On a souvent parlé de « nation gauloise ». Outre le fait qu’elle permettait aux nationalistes français du XIXème siècle de se donner ainsi un ascendant historique sur les Allemands, elle n’a pas vraiment de légitimité. D’abord parce que les Gaulois n’ont jamais constitué de nation unie mais plutôt une somme éparse de tribus (que Vercingétorix a eu grand mal à réunir sous la même bannière face à Rome) ; ensuite parce que ces différentes tribus partent dans des directions radicalement opposées. Suivre l’exemple arverne ? C’est une tribu prospère, certes, mais refermée sur elle-même et exerçant une certaine domination sur son espace économique. Suivre l’exemple marseillais ? La cité phocéenne a pactisé dès le début avec le diable romain, jouant l’œil de Caïn au sein de la rebelle Gaule. Suivre l’exemple belge ? Les Belges sont de belliqueux conquérants qui n’avaient comme vision internationale que la conquête sans scrupule de nouveaux espaces. Autant de tribus gauloises, autant de diversité de situations. Et puis, si on prend comme base les Gaulois, Le Pen n’est plus français, la Bretagne étant alors plus celtique que gauloise. Imaginez le choc ! Prenons soin de nos anciens, même les gâteux.

Ce genre de réflexion pourrait aussi bien être menée pour les « nations » que l’on eût pu identifier pour le Moyen-Âge français, au moins pour sa première partie, que ce soient les Aquitains, les Flamands, les Bourguignons, les Bretons,… Signalons simplement que la nation France a mis des siècles, voire des millénaires (si on fait commencer son essor sous les Romains) à se construire. Lorsqu’Hugues Capet est élu roi en 987, il n’est réellement à la tête que d’un domaine royal relativement petit, centré entre Paris et Orléans. Les Capétiens ont peu à peu construit le royaume de France en conquérant les marges jusqu’à unifier la Francie occidentale du partage de Verdun (843). Cet objectif n’est atteint que vers le XIIème siècle, et encore ce royaume ne constitue-t-il que les deux tiers de la superficie de la France actuelle. Songez que Lyon est alors bourguignonne ! Si l’on excepte les jeux franco-allemands de « je te donne et tu me reprends » avec l’Alsace-Moselle entre 1870 et 1945, la France n’obtient ses frontières actuelles qu’en 1866 lorsque l’Italie cède Nice et la Savoie à Napoléon III en remerciement de l’aide apportée à l’unification de la péninsule.

Le dernier problème que je vois, et il est de taille me semble-t-il, c’est l’obsolescence de la notion de nation. Ce terme est une construction philosophique issue des Lumières qui a servi, au XIXème siècle, à la construction territoriale des nations (ce que l’on a appelé les « Etats-nations »). La nation a servi à la définition des frontières. Cet outil a été très utile mais dévié, se cristallisant notamment sur les questions de l’Alsace-Moselle et des Balkans. C’est aussi ce concept, ne l’oublions pas, qui a provoqué les guerres de 1870, 1914-1918 et 1939-1945, soit un total de 72 millions de morts en Europe. A l’heure de la construction européenne, l’échelle de référence ne doit plus être l’Etat, la nation, mais l’Europe (sans pour autant substituer à un nationalisme de l’Etat un nationalisme européen). Que pèse une nation face à la concurrence d’une part des Etats-Unis, d’autre part des pays émergents comme la Chine, l’Inde ou le Brésil ?

Réfléchir à une identité européenne me semblerait donc plus judicieux et mieux coller à l’actualité. Qu’est-ce qui fait un Européen ? Telle est la question que je propose de substituer à « qu’est-ce qu’un Français ? ». Car après tout, aujourd’hui, sommes-nous réellement différent d’un Tchèque, d’un Espagnol ou d’un Grec ? Au contraire, nous devons encore nous rapprocher pour construire une Europe forte qui puisse peser internationalement face aux poids lourds que j’ai cités. Et se poser aujourd’hui la question de la définition de ce qu’est l’identité nationale française me semble aller dans le sens contraire. A contre-courant finalement

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