mardi 3 novembre 2009

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Marie Ndiaye pense aux femmes africaines, Beigbeder au procureur de Paris
LEMONDE.FR avec AFP | 02.11.09 | 15h48 • Mis à jour le 02.11.09 | 17h40

e prix Goncourt 2009 a été décerné lundi 2 novembre à Marie NDiaye pour son livre Trois Femmes puissantes et le prix Renaudot à Frédéric Beigbeder pour Un roman français (Grasset). Marie Ndiaye, dont le roman est publié par Gallimard, a remporté le prix par cinq voix contre deux à Jean-Philippe Toussaint pour La Vérité sur Marie et une à Delphine de Vigan pour Les Heures souterraines, ont précisé les jurés du Goncourt.

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Marie NDiaye a déclaré à la presse, en arrivant devant le restaurant Drouant où le prestigieux prix venait de lui être attribué :"Je suis très contente pour le livre et pour l'éditeur. Je suis très contente d'être une femme qui reçoit le prix Goncourt." "Une sorte de miracle s'était déjà produit avec le succès du livre", a-t-elle dit, ajoutant : "Ce prix est inattendu. C'est aussi le couronnement et la récompense de vingt-cinq ans d'écriture et de cette opiniâtreté." Ce livre "est le portrait de trois femmes fortes, chacune à sa manière. Ce qui les unit, c'est une force profonde, une croyance en qui elles sont, une façon de ne jamais douter de leur propre humanité. Ce sont des femmes tranquillement puissantes".

Marie NDiaye a dit espérer que cette récompense permette de mieux faire connaître l'histoire des femmes africaines. "L'histoire des migrants est une histoire déjà souvent relatée, mais si le sort de ces gens peut être encore mieux su et compris, j'en serai très contente."

FRÉDÉRIC BEIGBEDER A "UNE PENSÉE" POUR LE PROCUREUR DE PARIS

L'écrivain Frédéric Beigbeder, qui a obtenu le prix Renaudot, a déclaré : "Le Renaudot est la meilleure des drogues, vraiment je le conseille, c'est extrêmement agréable."

"J'ai une pensée pour le procureur de Paris, à qui je dois beaucoup. Je n'aurais pas écrit ce livre si je n'avais pas été mis en garde à vue. Je remercie également les policiers du huitième arrondissement", a ironisé l'écrivain.

Dans Un roman français (Grasset), Frédéric Beigbeder raconte son interpellation le 29 janvier 2008 en plein Paris alors qu'il consommait de la cocaïne sur le capot d'une voiture. Il avait été alors mis en garde à vue puis transféré au "dépôt". Dans la première version du livre, l'auteur s'en prenait brutalement au procureur Jean-Claude Marin, qu'il accusait d'avoir prolongé sa garde à vue.

Les éditions Grasset ont caviardé, avec le consentement de l'auteur, quatre pages de cette première mouture. Dans la version édulcorée, certaines attaques ont disparu. "Je ne peux pas écrire ici tout le bien que je pense de 'Jicé'. Jean-Claude Marin est procureur de Paris : il faut faire super gaffe quand on écrit sur lui", écrit-il.

Revenant sur cette polémique avec le haut magistrat, Frédéric Beigbeder a évoqué "un mini-scandale complètement absurde et oublié aujourd'hui. Tant mieux". "Le Renaudot efface tout, il remet j'espère mon travail là où il doit être, c'est-à-dire humble et sincère", a estimé le romancier.






Portrait
Libre d’écrire
LE MONDE | 03.11.09 | 10h59 • Mis à jour le 03.11.09 | 15h52

la voir au milieu du tapage, il est clair que Marie NDiaye n'est pas seulement une femme réservée, mais quelqu'un qui possède de véritables réserves: un précieux gisement de calme, de force et de détermination. Ni la tempête déclenchée par l'annonce du prix Goncourt, qui lui a été décerné le 2 novembre, ni la joie de son entourage, ni l'excitation de ceux qui cherchent à l'approcher, rien ne semble pouvoir lui faire perdre son sang-froid. Dans le restaurant parisien Drouant, où sont traditionnellement proclamés les résultats, puis chez Gallimard, son éditeur, elle conserve sa sérénité. Un sourire mystérieux, des gestes retenus et cette manière simple, gracieuse de chercher ses mots, d'accepter les silences.

Ainsi en va-t-il et depuis très longtemps – depuis toujours peut-être : Marie NDiaye suit son propre chemin, comme traversée par un invisible fil à plomb. Sans brusquerie, sans fièvre apparente, mais sans fléchir, quels que soient les obstacles. "Avec opiniâtreté", dit-elle, en évoquant son parcours d'écrivain. C'est en cela que l'attribution du Goncourt à son dernier roman, Trois femmes puissantes, lui semble "importante", selon ses mots : "Je crois que ce prix récompense vingt-cinq ans de travail plus qu'un livre." Elle parle d'une voix douce, perchée sur le bord d'un fauteuil en cuir rouge, dans le bureau d'Antoine Gallimard, PDG des éditions du même nom.

Mince et vêtue de couleurs sombres, pantalon noir et veste grise, elle paraît beaucoup plus jeune que ses 42 ans. Son œuvre, pourtant, a pris une longueur d'avance sur ce physique juvénile: douze romans et recueils de nouvelles, six pièces de théâtre (dont deux avec Jean-Yves Cendrey, son mari, écrivain lui aussi) et un scénario coécrit avec la cinéaste Claire Denis, pour un film à paraître en 2010. Sans compter un roman destiné à la jeunesse et une autre récompense de taille : le prix Femina, obtenu en 2001 pour son roman Rosie Carpe, paru aux Editions de Minuit.

C'est que la route est déjà longue, pour celle qui fut élevée avec son frère aîné Pap – devenu historien, maître de conférences à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) – dans un pavillon de la banlieue parisienne. La mère est enseignante. Le père, sénégalais, a quitté le domicile familial, puis la France, quand Marie était encore bébé. Une enfance "normale", avec des vacances en Beauce, région d'origine du côté maternel, et une excellente scolarité. Mais, contrairement à son frère, qui a intégré Normale Sup, la jeune fille refuse d'entreprendre les études supérieures vers lesquelles tout semblerait la pousser. "J'étais destinée à suivre une hypokhâgne, des études de lettres très supérieures, se souvient-elle, mais cela ne m'intéressait pas. Le fait que cela semble la voie nécessaire, idéale et presque unique a sans doute joué dans mon retrait. Il était dans mon tempérament de faire contre… Et puis je ne voulais pas de la course à l'excellence. En première, mon professeur de français voulait me présenter au Concours général, mais j'ai dit non merci." Ce qu'elle désire, et de toutes ses forces, c'est être écrivain – uniquement cela. Il ne s'agit pas d'un vœu pieux, ou d'une chimère d'adolescente, mais d'une réalité très concrète. En 1985, alors qu'elle est élève de terminale, elle se risque à envoyer son premier manuscrit à Jérôme Lindon, patron des prestigieuses Editions de Minuit. Séduit par son écriture très affirmée, l'éditeur accepte aussitôt ce texte, qui paraîtra sous le titre Quant au riche avenir.

Aujourd'hui, Marie NDiaye affirme avoir une pensée pour cet homme (mort en 2001) et pour son "grand talent de lecteur". Suivront plusieurs autres ouvrages, quelques bifurcations éditoriales (son deuxième roman, Comédie classique, est paru chez POL en 1988 parce que Lindon ne voulait pas le publier tel quel) et jamais d'autre métier que celui d'écrivain, même lorsque les contraintes matérielles se faisaient plus palpables.

De livre en livre, son univers se précise. On y retrouve l'étrangeté de l'inspiration, la beauté de la langue et, très souvent, l'angoisse d'un monde où règnent la folie et la peur des faux-semblants. Pour la première fois, dans Trois femmes puissantes, l'Afrique apparaît en majesté dans les trajectoires de ses personnages. Néanmoins et même si elle le regrette, l'écrivain se sent "totalement étrangère" à ce continent où elle n'a passé que trois semaines de sa vie (dont seulement deux au Sénégal). "Quand je rencontre des Français qui ont vécu longtemps là-bas, dit-elle, je sens qu'ils ont en eux plus d'Afrique que je n'en aurai jamais. Il est trop tard." Sans nouvelles de son père depuis plusieurs années, Marie NDiaye ne sait même pas s'il est au courant pour le Femina. Quant au Goncourt… Si la récompense lui fait plaisir, c'est par la liberté qu'elle procure. "Tout a changé pour moi avec le Femina. Je suis passée de 10 000 exemplaires vendus à 80 000, ce qui signifie deux ou trois ans de liberté. Pour un écrivain, l'argent se transforme en temps." Mais le succès recèle d'autres avantages, découverts avec Trois femmes puissantes. "Quand j'entre dans un magasin et que le vigile me dit avoir aimé mon livre, c'est une chose qui me touche, affirme-t-elle. Cela signifie que des gens qui n'auraient jamais été mes lecteurs auparavant le sont devenus." Elle ajoute: "Je n'aurais pas pensé cela il y a vingt ans. A l'époque, j'estimais que la vraie littérature était réservée à un nombre limité de lecteurs, mais on devient plus fin, en vieillissant!"

Pour le reste, les honneurs et la gloire, elle relativise. Sitôt retournée à Berlin, où elle vit avec son mari et ses trois enfants, le Goncourt ne signifiera plus grand-chose, aux yeux de son entourage immédiat. "Les gens que je croise tous les jours ne savent pas ce que c'est, observe-t-elle. Imaginez qu'un écrivain allemand vive dans le même immeuble que vous, à Paris. S'il obtenait un prix, vous ne le sauriez sans doute pas…" De quoi, peut-être, la mettre à l'abri des sollicitations envahissantes, comme des risques de dispersion. Et de quoi garantir aussi sa liberté. "Ne dépendre que de soi, disposer de son temps, vivre là où on le désire", affirme-t-elle. Avec Jean-Yves Cendrey et leurs enfants, Marie NDiaye a déjà déménagé de nombreuses fois, passant de région en région, de pays en pays, de l'Espagne à l'Italie, aux Pays-Bas, à la France ou à l'Allemagne. Comme s'il s'agissait avant tout de ne pas s'endormir, de ne jamais prendre racine – à aucun prix.

Raphaëlle Rérolle
Article paru dans l'édition du 04.11.09


Portrait
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la voir au milieu du tapage, il est clair que Marie NDiaye n'est pas seulement une femme réservée, mais quelqu'un qui possède de véritables réserves: un précieux gisement de calme, de force et de détermination. Ni la tempête déclenchée par l'annonce du prix Goncourt, qui lui a été décerné le 2 novembre, ni la joie de son entourage, ni l'excitation de ceux qui cherchent à l'approcher, rien ne semble pouvoir lui faire perdre son sang-froid. Dans le restaurant parisien Drouant, où sont traditionnellement proclamés les résultats, puis chez Gallimard, son éditeur, elle conserve sa sérénité. Un sourire mystérieux, des gestes retenus et cette manière simple, gracieuse de chercher ses mots, d'accepter les silences.

Ainsi en va-t-il et depuis très longtemps – depuis toujours peut-être : Marie NDiaye suit son propre chemin, comme traversée par un invisible fil à plomb. Sans brusquerie, sans fièvre apparente, mais sans fléchir, quels que soient les obstacles. "Avec opiniâtreté", dit-elle, en évoquant son parcours d'écrivain. C'est en cela que l'attribution du Goncourt à son dernier roman, Trois femmes puissantes, lui semble "importante", selon ses mots : "Je crois que ce prix récompense vingt-cinq ans de travail plus qu'un livre." Elle parle d'une voix douce, perchée sur le bord d'un fauteuil en cuir rouge, dans le bureau d'Antoine Gallimard, PDG des éditions du même nom.

Mince et vêtue de couleurs sombres, pantalon noir et veste grise, elle paraît beaucoup plus jeune que ses 42 ans. Son œuvre, pourtant, a pris une longueur d'avance sur ce physique juvénile: douze romans et recueils de nouvelles, six pièces de théâtre (dont deux avec Jean-Yves Cendrey, son mari, écrivain lui aussi) et un scénario coécrit avec la cinéaste Claire Denis, pour un film à paraître en 2010. Sans compter un roman destiné à la jeunesse et une autre récompense de taille : le prix Femina, obtenu en 2001 pour son roman Rosie Carpe, paru aux Editions de Minuit.

C'est que la route est déjà longue, pour celle qui fut élevée avec son frère aîné Pap – devenu historien, maître de conférences à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) – dans un pavillon de la banlieue parisienne. La mère est enseignante. Le père, sénégalais, a quitté le domicile familial, puis la France, quand Marie était encore bébé. Une enfance "normale", avec des vacances en Beauce, région d'origine du côté maternel, et une excellente scolarité. Mais, contrairement à son frère, qui a intégré Normale Sup, la jeune fille refuse d'entreprendre les études supérieures vers lesquelles tout semblerait la pousser. "J'étais destinée à suivre une hypokhâgne, des études de lettres très supérieures, se souvient-elle, mais cela ne m'intéressait pas. Le fait que cela semble la voie nécessaire, idéale et presque unique a sans doute joué dans mon retrait. Il était dans mon tempérament de faire contre… Et puis je ne voulais pas de la course à l'excellence. En première, mon professeur de français voulait me présenter au Concours général, mais j'ai dit non merci." Ce qu'elle désire, et de toutes ses forces, c'est être écrivain – uniquement cela. Il ne s'agit pas d'un vœu pieux, ou d'une chimère d'adolescente, mais d'une réalité très concrète. En 1985, alors qu'elle est élève de terminale, elle se risque à envoyer son premier manuscrit à Jérôme Lindon, patron des prestigieuses Editions de Minuit. Séduit par son écriture très affirmée, l'éditeur accepte aussitôt ce texte, qui paraîtra sous le titre Quant au riche avenir.

Aujourd'hui, Marie NDiaye affirme avoir une pensée pour cet homme (mort en 2001) et pour son "grand talent de lecteur". Suivront plusieurs autres ouvrages, quelques bifurcations éditoriales (son deuxième roman, Comédie classique, est paru chez POL en 1988 parce que Lindon ne voulait pas le publier tel quel) et jamais d'autre métier que celui d'écrivain, même lorsque les contraintes matérielles se faisaient plus palpables.

De livre en livre, son univers se précise. On y retrouve l'étrangeté de l'inspiration, la beauté de la langue et, très souvent, l'angoisse d'un monde où règnent la folie et la peur des faux-semblants. Pour la première fois, dans Trois femmes puissantes, l'Afrique apparaît en majesté dans les trajectoires de ses personnages. Néanmoins et même si elle le regrette, l'écrivain se sent "totalement étrangère" à ce continent où elle n'a passé que trois semaines de sa vie (dont seulement deux au Sénégal). "Quand je rencontre des Français qui ont vécu longtemps là-bas, dit-elle, je sens qu'ils ont en eux plus d'Afrique que je n'en aurai jamais. Il est trop tard." Sans nouvelles de son père depuis plusieurs années, Marie NDiaye ne sait même pas s'il est au courant pour le Femina. Quant au Goncourt… Si la récompense lui fait plaisir, c'est par la liberté qu'elle procure. "Tout a changé pour moi avec le Femina. Je suis passée de 10 000 exemplaires vendus à 80 000, ce qui signifie deux ou trois ans de liberté. Pour un écrivain, l'argent se transforme en temps." Mais le succès recèle d'autres avantages, découverts avec Trois femmes puissantes. "Quand j'entre dans un magasin et que le vigile me dit avoir aimé mon livre, c'est une chose qui me touche, affirme-t-elle. Cela signifie que des gens qui n'auraient jamais été mes lecteurs auparavant le sont devenus." Elle ajoute: "Je n'aurais pas pensé cela il y a vingt ans. A l'époque, j'estimais que la vraie littérature était réservée à un nombre limité de lecteurs, mais on devient plus fin, en vieillissant!"

Pour le reste, les honneurs et la gloire, elle relativise. Sitôt retournée à Berlin, où elle vit avec son mari et ses trois enfants, le Goncourt ne signifiera plus grand-chose, aux yeux de son entourage immédiat. "Les gens que je croise tous les jours ne savent pas ce que c'est, observe-t-elle. Imaginez qu'un écrivain allemand vive dans le même immeuble que vous, à Paris. S'il obtenait un prix, vous ne le sauriez sans doute pas…" De quoi, peut-être, la mettre à l'abri des sollicitations envahissantes, comme des risques de dispersion. Et de quoi garantir aussi sa liberté. "Ne dépendre que de soi, disposer de son temps, vivre là où on le désire", affirme-t-elle. Avec Jean-Yves Cendrey et leurs enfants, Marie NDiaye a déjà déménagé de nombreuses fois, passant de région en région, de pays en pays, de l'Espagne à l'Italie, aux Pays-Bas, à la France ou à l'Allemagne. Comme s'il s'agissait avant tout de ne pas s'endormir, de ne jamais prendre racine – à aucun prix
trois femmes puissante roman féminin, double symbole de la féminisation du monde littéraire depuis les années 90 au de dix ans. symbole de diversité dont l'auteur se défend

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